Cet article s’appuie sur une conversation entre dirigeants organisée le 20 juin 2019 par La Boetie Partners,animée par Thibault Vignes et Benjamin Gratton.
«Co-construire» est un terme à la mode: dans des organisations de plus en plus complexes et dans lesquelles le management se «latéralise», l’enjeu de «faire ensemble» apparaît de plus en plus indispensable.
Lors de cette Zébulerie, nous avons eu la chance d’avoir le témoignage du Directeur de la Stratégie d’un grand groupe international, qui a raconté son expérience de Direction du projet d’élaboration d’une vision à 10 ans, sur un mode largement participatif (plusieurs dizaines de milliers de personnes).
A partir de ce témoignage, nous avons réfléchi ensemble à cette question: dans un travail d’élaboration de vision partagée, quelle pertinence y a-t-il à co-construire? Que cherche-t-on vraiment? Quelles sont les limites d’un travail participatif à grande échelle?Il se dégage des grandes lignes.
Associer pour embarquer
A l’évidence le fait d’être impliqué de façon sincère et honnête dans un travail de co-construction crée de l’implication: en se frottant à l’analyse stratégique, aux questions essentielles qui se posent, les «co-constructeurs» sont embarqués de plain-pied dans la problématique. C’est d’ailleurs l’intention première des dirigeants: «si je veux qu’ils portent le résultat, il faut les impliquer dans le cheminement, pas obligatoirement pour qu’ils produisent la réponse mais d’abord pour qu’ils s’approprient les données du problème».
S’approprier le problème pour préparer le terrain, s’assurer ainsi que la solution envisagée sera bien comprise: voilà une intention saine qui justifie une bonne dose de «co». Le chemin devient au moins aussi important que le but: il crée l’engagement.
Cibler le participatif sur les données du problème
Pour autant, co-construire doit être utile: un exercice d’implication factice, qui ne produirait pas de «données» supplémentaires, ni d’inflexion dans la réflexion, serait contre-productif. «Pourquoi nous faire participer s’ils ont déjà la solution?».
Il y a nécessairement des aspects à explorer qui nécessitent un maximum de «contributeurs»: ainsi en est-il, par exemple, de l’analyse des tendances de fond, que chacun peut observer d’une façon particulière à partir de sa propre position dans l’organisation. On gagnera à mener un travail de co-construction sur cette question: «quelles tendances sont à l’œuvre à l’extérieur de notre organisation, et nous concernent tout particulièrement?».
La co-construction semble donc tout indiquée pour rassembler les données du problème, élargir le champ de l’analyse. Il s’agirait, au fond, de co-construire l’énoncé du problème, afin qu’il soit le plus complet et éclairé possible
Accepter que la solution ne soit pas co-construite
A l’inverse, le discernement des solutions est souvent une affaire de petit groupe, voire même de la seule responsabilité du dirigeant. Ce temps est un mélange d’analyse rationnelle et d’intuitions, nourries de conversations, d’échanges, de réflexions, et de prise de risques plus ou moins calculées. Les biographies de dirigeants font souvent état de ces moments de décisions structurantes, lors desquelles l’exercice du pouvoir apparaît bien solitaire.
Ne négligeons pas pour autant l’intérêt du collectif pour le dirigeant, dans cette phase de discernement: il lui sert de «chambre d’écho», en réagissant à ce qu’il pressent, et en l’aidant à percevoir ses angles morts. Ce rôle du collectif ne fonctionne bien que s’il maîtrise les données du problème. La boucle est bouclée: il aura bien fallu impliquer le collectif dans la mise à plat du problème pour qu’il puisse challenger la solution !
L’art du processus participatif
Poser les bonnes questions, créer des espaces d’analyse et d’échange, favoriser les connections, savoir capter ce qui émerge, contenir et réorienter ce qui est hors sujet, permettre de se perdre et savoir se retrouver … sont des incontournables de tout processus de co-construction. Cela sollicite des compétences «d’ingénierie de la conversation», d’animation de modalités de travail en intelligence collective, qui s’appuient sur des modèles et des techniques solides.
Il y a bien, semble-t-il, une expertise de la co-construction. Ceux qui ont été en responsabilité d’un processus de co-construction ambitieux en témoignent: un champ nouveau, fascinant, s’est ouvert pour eux.
Dès lors que nous avons identifié ce domaine d’expertise, la question se pose: où situer cette compétence? Faut-il créer des spécialistes du «co»? Faut-il développer cette compétence chez tous les managers? Est-il possible d’être à la fois en situation de responsabilité sur un sujet, et en charge de piloter un processus de co-construction? Ces questions restent ouvertes.