Cet article s’appuie sur une conversation entre dirigeants organisée le 23 mai 2019 par La Boetie Partners, animée par Emmanuel Mas et Benjamin Gratton. Le compte-rendu reprend fidèlement les échanges et explicites les liens avec le thème.
Exposé d’une transformation au long cours
Pour commencer à changer sa manière de travailler, le management d’un des Big Four a décidé de mettre à profit son déménagement. Cela donna lieu à beaucoup de discussions notamment du fait que les associés perdaient leurs bureaux. Il ne suffisait pas de les enjoindre de changer de comportements pour qu’ils acceptent la contrainte. Il fallut beaucoup discuter et le levier le plus fort de conviction fut de leur montrer le résultat réel plus que des «injonctions à changer».
D’une manière plus générale la transformation était tirée par 3 drivers forts :
- 1 – Un leader engagé et convaincu,
- 2 – Une volonté de mettre le collaborateur au centre parce que c’était l’avenir et aussi pour augmenter l’attractivité auprès des jeunes,
- 3 – La volonté de mettre l’humain au cœur.
Lors de l’entrée dans les nouveaux locaux les injonctions au changement, inefficaces, furent remplacées par des règles communes choisies ensemble puis imposées après cette phase d’élaboration commune.
Les résistances vinrent du management intermédiaire et de certains associés. Après un temps passé à tenter de les convaincre en vain, ce tiers de «contre» fut abandonné pour consacrer toute l’énergie sur les deux autres tiers, les «neutres» et les «ok». Cette focalisation fut un apprentissage du projet.
Concrètement le projet déboucha sur plusieurs gains, en termes de qualités des locaux, de souplesse de travail, d’état d’esprit mais le plus important fut de démontrer la capacité à changer. Mieux que toutes les injonctions, cette preuve tangible, en changeant de locaux, en enlevant les bureaux attitrés,que le changement était possible malgré des réticences fortes au départ permis de «craquer le sujet de la confiance», de donner confiance à toute la firme dans sa capacité de changer. Après ce premier projet fondateur, de nombreux autres changements furent mis en œuvre. Ils paraissent anodins aujourd’hui mais hier ils paraissaient insurmontables comme la mise en place du télétravail, le déploiement de nombreux progiciels… Cet état d’esprit permit également de développer l’innovation.
Les KPI utilisés pour mesurer ces changement sont suscité beaucoup de questions des participants: s’ils existent, car la firme mondiale mesure tout, ils ne constituent pas l’important qui se concentre dans l’évolution de l’état d’esprit. Certes des impacts sur la rémunération de la mise en place concrète des valeurs ont été introduits, mais l’important reste l’évolution de l’état d’esprit qui ne peut se réduire à un indicateur, puisque justement l’état d’esprit recherché est de «mettre l’humain au cœur» à la place du chiffre l’on pourrait dire.
Aujourd’hui trois ambitions claires permettent de prioriser les projets de changement qui s’orientent beaucoup sur l’interne avec l’idée que ce changement interne rejaillira sur les clients; avec l’idée sous-jacente également que les changements internes prouveront la réelle volonté de «mettre l’humain au cœur» et que cette preuve concrète et dans la durée vaut mieux que toutes les injonctions.
Échanges entre participants
L’exposé suscita beaucoup de questions et de réactions, puis deux groupes se séparèrent pour échanger sur leurs propres expériences. A l’issue de ces échanges plusieurs points clefs ressortirent de chacun des groupes. Chacun de ces points permettent d’éviter les injonctions de changements :
- 1 – Oser se lancer… surtout lorsqu’on n’a pas le choix, pour faire des trucs nouveaux et différents, avec l’idée que plutôt que l’injonction «oser» il faut le faire,
- 2 – Faire confiance, aplatir la structure, là aussi pour passer de l’injonction «soyez autonome» à des décisions concrètes donnant de l’autonomie,
- 3 – Procéder par petit pas, avec des exemples simples et symboliques comme le télétravail, pour matérialiser la volonté,
- 4 – Expérimenter sur une petite partie de la structure, pour les mêmes raisons,
- 5 – Donner du sens pour expliquer, plutôt que d’enjoindre à changer,
- 6 – Exemplarité pour tenir le cap et un porteur pour tenir la distance, pour incarner le changement,
- 7 – Il reste des choses immuables, des règles, des objectifs, certains repères qui permettent le changement sur d’autres parties du fonctionnement d’une organisation.
- 1 – Certaines personnes peuvent se retrouver prises entre des injonctions paradoxales, devoir gérer entre les valeurs personnelles et des aspirations fortes et la réalité de ce que produit l’entreprise, qui compliquent l’évolution, le changement,
- 2 – L’importance de trouver l’équilibre entre fermeté et écoute: les injonctions pour libérer la parole ne suffisent pas, parfois les collaborateurs ont besoin de formation à l’assertivité pour pouvoir mieux tenir leurs points de vue face à des anciens,
- 3 – Dans certaines situations l’alignement des intérêts des systèmes n’est pas possible. Cette situation rend totalement inutiles les injonctions à «coopérer»,
- 4 – Les d’attentes des jeunespar rapport aux organisationsont changé, et pour eux, «être dirigé par des dictateurs c’est plus possible»ce qui remet en cause la manière dont on travaille depuis des années et démonétise la parole de ceux qui sont vus comme dictateurs, surtout s‘ils enjoignent de changer.
En synthèse, les injonctions à changer émises par des «dictateurs» autoritaires, ne fonctionnent plus. Pour aider les personnes à changer il vaut mieux agir afin de donner des preuves tangibles de la volonté de changer, en accord avec ce que les personnes peuvent réellement changer. Pour cela elles auront besoin parfois de formation, d’autres fois de nouvelles règles. Et toujours, toujours prendre le temps de donner le sens du changement, même si cela crée parfois des situations personnelles paradoxales.