Cet article s’appuie sur une conversation entre dirigeants organisée le 19 mars 2019 par La Boetie Partners, animée par Emmanuel Mas et Jean-Gabriel Kern.
La thématique du désengagement des jeunes générations est omniprésente dans les médias: les jeunes collaborateurs entretiendraient un lien distancié, utilitariste avec leur entreprise…Tout aussi présent, malheureusement aussi bien dans les médias que dans les préoccupations des entreprises, le sujet du burn-out et ses risques sur l’équilibre et la santé des collaborateurs préoccupe.
Un thème beaucoup plus rarement abordé concerne l’impact du sur-engagement sur le fonctionnement de l’entreprise et plus précisément la difficulté à faire avancer le travail collectif quand l’engagement des collaborateurs devient excessif. Pourtant, il s’agit d’une préoccupation centrale pour de nombreux patrons et managers dans des organisations à l’utilité reconnue, au sens fort.
Les risques paradoxaux du sur-engagement
Le sur-engagement dans ces organisations comporte plusieurs risques. Tout d’abord, la surcharge émotionnelle conduit à des tensions entre personnes, services, départements ou avec les autres organisations.Les «engagés intolérants»se révèlent incapables de dialoguer pour trouver une solution de compromis sur leurs convictions souvent profondes.
Les personnes surengagées risquent de porter seules le poids de décisions aux conséquences très importantes. Or ces décisions reposant sur une morale hypothétique, c’est-à-dire discutable par opposition à la morale catégorique qui est indiscutable, elles ont intérêt à dialoguer, partager, discuter avec leurs collègues afin de poser leurs choix collectivement ; ces choix deviendront alors moins lourds à porter.
Le sur-engagement constitue un obstacle à ce que les personnes prennent la posture de recul nécessaire à la synthèse, au cheminement, à la tactique pour faire passer leurs idées. Paradoxalement un trop fort engagement, peut générer une réaction négative chez les parties prenantes et donc in fine un rejet des idées défendues. Les situations de grandes incertitudes demandent une dialectique entre des enjeux contradictoires que l’engagement trop exclusif peut empêcher.
Un trop fort engagement conduit également à surinterpréter la parole du patron.Il peut aussi amener à la désobéissance. Certains vont jusqu’à court-circuiter la hiérarchie pour faire valoir les idées auxquelles ils sont tant attachés. Le sur-engagement peut également brutalement se transformer en lassitude ou désengagement lorsque, par une décision politique par exemple, l’orientation prise par l’organisation ne répond plus aux attentes des collaborateurs.
Enfin les personnes surengagées cherchent à voir leurs idées reconnues. La pression externe, publique ou politique, peut rendre leur vie privée hostile au sens où elle devient un lieu d’exposition à des point de vue contraires aux convictions des personnes. Cette hostilité les prive d’une reconnaissance nécessaire. Ne pouvant trouver la reconnaissance dans leur vie privée, la personne vient ainsi la chercher dans l’organisation, lieu où les autres la comprennent. Elle augmente ainsi son engagement et les risques de sur-engagement.
En bref,le sur-engagement peut mener à des cercles vicieux conflictuels et contre-productifs, où les personnes surengagés créent par la force de leurs convictions trop ardemment défendues les obstacles au déploiement de ces convictions.