Par Thibault Vignes.
Réussir le premier temps fort d’une fusion est crucial car il donne le “la” des premiers mois : de quoi ont besoin des collaborateurs qui se rencontrent pour la première fois ? Comment construire un état d’esprit collectif ? Faut-il adopter un style plutôt directif ou participatif ? Quel dosage entre des informations opérationnelles, le contenu stratégique, et les aspects culturels ?
Né en 2020, le CNM, établissement public de l’Etat, a vocation à devenir la “maison commune” de la musique, à l’instar du CNC pour le cinéma. Le 1er novembre 2020, quatre associations existantes fusionnaient avec le CNM, dans un contexte de crise gravissime du secteur lié à l’épidémie de la Covid 19 et aux fermetures qui en résultaient. Le 4 novembre 2020, nous accompagnions le premier séminaire des équipes du Centre National de la Musique (CNM), fruit de la fusion de 5 organisations. Le Président de l’établissement, Jean-Philippe Thiellay, avait en effet souhaité organiser dès que possible un séminaire rassemblant l’ensemble des équipes afin d’installer d’entrée de jeu une dynamique collective. Même si au lieu de le tenir comme prévu en “présentiel” dans les futurs locaux, le second confinement a imposé de réunir les 100 collaborateurs à distance.
Lorsque je prends du recul sur les priorités, l’agenda, les modalités de ce séminaire, quatre bonnes pratiques se dégagent.
Aider les participants à faire (vraiment) connaissance
Les “autres” sont-ils des arrivistes déterminés à m’avaler tout rond ? d’affreux incompétents ? Ce premier séminaire doit permettre de briser la glace. L’enjeu ? Que chacun soit rassuré et réalise qu’il n’y a, au fond, aucune véritable raison de mal s’entendre.
Seulement voilà : faire connaissance n’est pas si simple, et une fois égrenés les titres, fonctions et états de service, on ne sait pas trop comment s’y prendre ni quoi se raconter.
Les participants ont donc besoin d’être guidés. Dès le début du séminaire, nous avons organisé un “speed dating” : chaque participant a rencontré successivement en tête à tête, et de façon aléatoire, dix personnes différentes pendant un temps très court (deux minutes), pour échanger sur un thème différent avec chaque nouvel interlocuteur.
Chacune des dix questions avait été étudiée pour aider à dévoiler un aspect de son identité professionnelle. Voici quelques exemples : “Racontez votre début de semaine, les sujets sur lesquels vous avez travaillé”, “Qu’est-ce qui vous a amené à travailler dans le secteur de la musique ?”, “Parlez d’un sujet, d’un dossier qui vous intéresse dans votre job en ce moment”, “Evoquez une œuvre ou un évènement culturel qui vous a marqué”, “Une chose que vous pouvez apporter personnellement pour contribuer à la réussite du CNM”.
Jean-Philippe Thiellay souligne que la “rencontre” était vraiment l’objectif central de la journée : “il n’y avait pas d’agenda, pas d’objectif de rendu, pas de travail sur un plan d’actions”.
En outre, nous avons pu observer que ce premier temps a créé un climat particulier, l’état d’esprit des participants est passé d’un attentisme sceptique à une curiosité engagée, propice à la suite des travaux. Le fait que les conversations en binôme étaient coupées à la fin du compte à rebours, loin de constituer une frustration, a dynamisé ce premier temps.
Expliquer très concrètement ce qui va se passer dans les trois prochains mois
Les collaborateurs ont mille et une questions concrètes : Quand va-t-on déménager ? Est-ce que l’organigramme est figé ? Est-ce que mon job va changer ? Quels vont être les nouveaux sujets sur lesquels je vais devoir travailler ? Si certaines de ces questions sont à traiter individuellement en dehors du séminaire, celui-ci doit permettre de donner les informations communes de façon claire, nette, précise, concrète.
Dans le séminaire du CNM, le Directeur Général, Romain Laleix, a simplement présenté dans le détail la feuille de route des premiers mois. Point de créativité ni de “co-construction” ici : le management montre qu’il a les choses bien en mains, et assoit son autorité, au sens positif du terme. Dans la foulée de la présentation, nous avons organisé un échange en petits groupes pour collecter les réactions et questions, et ainsi apporter des compléments et clarifications là où c’était nécessaire.
Cette pédagogie “pratico-pratique” peut apparaître très éloignée d’une autre nécessité : donner du sens à la fusion. Mais ce sens avait déjà fait l’objet d’abondantes communications en amont, d’autant plus que l’établissement a été créé par une loi longuement préparée. Y revenir n’était donc pas nécessaire, voire risquait d’être contre-productif.
Revisiter le passé pour entrer dans une histoire commune
Une fusion, ce sont plusieurs histoires qui se rejoignent pour devenir une histoire commune. Chaque collaborateur a sa propre compréhension de cette histoire, au travers de son parcours personnel. Pour que l’histoire commune commence à s’écrire, il est très efficace de se réapproprier le passé et de s’interroger sur ce qu’il nous apprend d’utile pour ce que nous avons à faire ensemble.
Dans le cas du CNM, les 12 missions définies par la loi représentent pour chaque acteur un périmètre nouveau, plus large par définition que son périmètre d’origine. La troisième séquence du séminaire visait à ce que chacun comprenne et s’approprie pleinement ces 12 missions.
Pour ce faire, nous avons confié à des sous-groupes le soin de réfléchir, sur l’une des missions, à la question suivante : “quand vous regardez l’histoire de la filière musicale sur les 50 dernières années, en quoi cette mission vous apparaît importante aujourd’hui ?”.
En réfléchissant sous l’angle du nouvel ensemble, en faisant travailler sur le projet commun, cette séquence participative a aidé chacun à avancer dans sa mue, à passer de son ancienne identité à une identité “CNM”.
Ainsi l’histoire commune a pu vraiment commencer à s’écrire, à travers les propos qui se sont échangés pendant le séminaire.
Co-construire des marqueurs de l’identité
Pour un collaborateur impliqué dans une fusion, il est utile de savoir parler de “sa nouvelle boîte”, surtout si la boîte en question est peu connue et son activité difficile à comprendre. Il se joue ici quelque chose du sentiment d’appartenance et de la fierté. Plutôt que de donner des éléments de langage, nous avons choisi de solliciter l’intelligence collective du groupe.
Anne-Sophie Bach, directrice du développement, de la communication et des partenariats du CNM, responsable de l’organisation de ce séminaire, a proposé que l’ensemble des équipes contribue au travail de l’agence sur les marqueurs de communication. Son besoin était réel et sincère : “nous souhaitons voir ce que ces sujets vous inspirent, ce qui vous vient spontanément, afin de nourrir notre réflexion et notre travail de professionnels de la communication »
Nous avons organisé des ateliers en petits groupes pour produire des propositions, en un temps très court, sur chacun de ces 3 sujets : valeurs, baseline, logo. L’ensemble de la production était visible de tous, car élaborée directement dans un support partagé en ligne.
Ni concours, ni brainstorming, cette séquence d’ateliers a été positionnée “basse pression” comme une contribution spontanée, simple et authentique, au travail dont la direction de la communication a la responsabilité.
Chacun aura pioché, ici ou là, telle ou telle formule qui lui convient et qu’il pourra utiliser, en attendant que les marqueurs de communication officiels soient validés. D’ailleurs lorsqu’ils seront présentés, les membres de l’organisation s’y retrouveront certainement puisqu’ils auront apporté leur contribution à l’édifice. Enfin, en réfléchissant à ces sujets très concrets, les participants ont « mâché » l’identité du CNM, et ont ainsi continué à habiter encore un peu plus cette maison commune.
Laissons à Jean-Philippe Thiellay le mot de la fin : “Il était exclu de ne rien faire, et dans le contexte il était exclu de le faire en physique, donc nous n’avons pas eu d’autre choix que de faire ce séminaire en distanciel. Et je préférais le faire et risquer de le rater plutôt que de ne pas le faire. Finalement c’est une grande réussite, vraiment un carton plein, même si cela aurait eu sans aucun doute plus d’impact en physique. La clé du succès ? Passer du temps à préparer : qu’est-ce qu’on veut faire et pourquoi ? Quels messages veut-on délivrer ? Le dirigeant doit faire l’effort de mettre cela dans son agenda, parce que qu’au-delà des bonnes pratiques et de l’expérience du consultant, la conception du séminaire est vraiment très liée aux circonstances, au style de la maison ».
Interview du Président du CNM, Jean-Philippe Thiellay, sur le séminaire :
L’explication des modalités de travail à distance :