Par Eléonor Simiu
Comment susciter un dialogue avec les citoyens d’une ville, au-delà du petit cercle d’habitués des réunions publiques ? A partir de l’expérience de Ville d’Avray, nous avons dégagé quelques ingrédients clés pour réussir le lancement d’une démarche de démocratie participative.
Beaucoup de collectivités font aujourd’hui le même triste constat. Le fossé s’est creusé entre élus, services administratifs et citoyens. Difficile d’impliquer les citoyens dans la vie municipale, surtout les jeunes et les actifs. Et quand les habitants s’expriment, c’est via les réseaux sociaux, de manière peu constructive – pour utiliser un euphémisme.
Ville d’Avray a beau être une paisible commune familiale des Hauts-de-Seine, elle n’échappe pas à la règle. En 2019, dans cette ville charmante entourée de forêts, la présentation du programme d’amélioration du Centre-Ville avait donné lieu à de violentes critiques, notamment sur les réseaux sociaux. Certains citoyens avaient dénoncé la « bétonisation » et avaient reproché à l’équipe municipale de « vendre des bijoux de famille ».
Pourtant ce programme était né du besoin d’équiper le centre-ville avec une résidence pour les seniors, une maison de santé, une crèche aux normes. Il avait par ailleurs pour objectif de créer des logements dont les jeunes et les familles ont besoin.
L’équipe municipale s’est engagée à lancer des « assises citoyennes » après les élections de juin 2020 pour susciter un dialogue avec l’ensemble des citoyens, notamment la majorité silencieuse – les citoyens traditionnellement les moins informés, les plus en retrait, dans la vie de la commune. Compte tenu de la période et du contexte sanitaire, la pièce maîtresse du dispositif a été la plateforme citoyenne en ligne, lancée en décembre 2020. Nous avons eu l’honneur de les accompagner dans cette démarche. A partir de cette expérience, voici quelques facteurs de succès du lancement d’une démarche de démocratie participative.
UN SUJET QUI SUSCITE L’INTÉRÊT… VOIRE LA POLÉMIQUE
Et si l’opposition avait été la meilleure alliée de la plateforme citoyenne ? En tous cas, la polémique sur le centre-ville a joué un rôle de déclencheur. « Nous vivions une crise, nous étions dans une zone de turbulences », raconte la Maire, Aline de Marcillac. « Nous ne savions pas par quel bout prendre ce dossier du centre-ville sur lequel nous avions des convictions fortes mais nous avions visiblement raté la première étape. Nous avons décidé de reprendre à la base cette concertation. Bien sûr, ça demande du courage mais quand on est déstabilisé, de toutes façons il faut bouger. »
L’équipe municipale a étrenné la plateforme citoyenne avec le programme d’amélioration du centre-ville, le projet à la fois le plus important et le plus délicat du mandat. Mais avec le recul, cette prise de risque a probablement été un facteur de succès. Pour qu’une démarche de démocratie participative prenne, il faut que le jeu en vaille la chandelle : « c’est quand le cadre de vie change que les citoyens se sentent vraiment concernés », explique Aline de Marcillac.
UNE ÉQUIPE MUNICIPALE PRÊTE À PARTAGER LE POUVOIR
La plus grande crainte de la Maire de Ville d’Avray au moment du lancement de la plateforme citoyenne, ce n’était pas l’opposition, c’était de décevoir. « J’avais peur de trop ouvrir le champ des possibles, qu’on ne puisse pas tenir nos promesses. On avait une relation de confiance à retrouver avec les habitants. Au fond, que le projet se fasse ou pas, ça n’était plus le sujet. Je me suis mise vraiment en position d’ouverture, on allait bien voir ce qui allait apparaître. Ce qui était important c’est qu’on ne cherche pas à tordre, interpréter à notre sauce les réponses. »
Pour Aline de Marcillac, impliquer les citoyens relève de l’évidence. « Dans les entreprises on parle d’agilité ; mais dans les collectivités également, de plus en plus, l’incertitude est considérable, à commencer par la faible visibilité institutionnelle ; on ne peut pas laisser les citoyens à l’écart des décisions qu’on prend, il est indispensable de garder le lien pendant toute la durée du voyage. »
Un véritable enjeu et une intention sincère, voici d’après nous les deux conditions sine qua non pour lancer une démarche de démocratie participative.
DES CITOYENS QUI « ENTRENT » DANS LE FONCTIONNEMENT DE LA VILLE
Sur la plateforme citoyenne, les citoyens réagissent à la présentation des enjeux clés du centre-ville, indiquent leurs préférences en termes d’architecture ou d’ambiance paysagère. Elus et agents peuvent ainsi mieux comprendre leurs besoins, craintes, attentes, envies. Mais pour vivre un vrai dialogue, il faut une symétrie, une parité. Les citoyens ont également besoin d’appréhender mieux le fonctionnement de la Ville, les enjeux et les contraintes des élus.
« Nous nous sommes rendu compte que nous devions leur donner des éclairages, partager davantage le diagnostic, être clair sur notre marge de manœuvre, en expliquant les choses de manière aussi directe que possible », explique Luc de Noirmont, Adjoint au Maire en charge de la Démocratie Participative.
« Aujourd’hui je me sens moins seule », déclare Aline de Marcillac. « Les citoyens ne me posent plus les mêmes questions. Par exemple, on me demande : ‘Cette loi SRU… comment on va faire ? comment on va y arriver, au 25% de logements sociaux ?’ On recrée un lien d’adulte à adulte. Voilà la situation de la ville, qu’est-ce qu’on peut faire ensemble ? Les gens ne demandent qu’à se poser des questions ! Ils cheminent, on chemine tous… »
« On dépasse le pour et le contre », résume Luc de Noirmont.Prendre en compte les différents points de vue et construire ensemble, c’est précisément cela, un vrai dialogue.
UNE PINCÉE DE SENS COMMERCIAL
On veut que les citoyens s’emparent de la plateforme de démocratie participative, que tout le monde s’exprime … Mais quand on se lance, il n’y a aucun inscrit, la base d’e-mails est vide. C’est une des différences avec une démarche d’intelligence collective en entreprise – et une difficulté non négligeable.
« Aujourd’hui je vous parle en tant que ‘directeur commercial’ de la plateforme citoyenne … » C’est ainsi que Luc de Noirmont a pris la parole au Bureau Municipal au moment du lancement de la plateforme citoyenne. Il s’agissait de « mobiliser l’interne pour conquérir des e-citoyens. Nous avons voulu faire des 26 conseillers municipaux de la Majorité 26 ambassadeurs. Nous nous sommes également appuyés sur les agents de la Mairie », raconte Luc de Noirmont.
Bien sûr, la Ville a communiqué sur le lancement de la plateforme citoyenne dans les medias institutionnels, le site Web et le journal de la Ville, ainsi que via une campagne d’affichage — très ludique et réussie. Mais au lancement, ce qui compte, c’est le bouche-à-oreille, et la communication de personne à personne, à commencer par le cercle amical des « ambassadeurs ». « Nous avons aussi la chance d’avoir des associations très présentes sur la Ville : Club Seniors, Jeunes, Parents d’Elèves… En nous rapprochant d’elles pour faire connaître la plateforme citoyenne à leurs adhérents, nous avons pu toucher des profils très différents. »
Le résultat est là : deux mois après le lancement, il y avait 630 inscrits sur la plateforme citoyenne, soit déjà 60% de l’objectif de 1000 citoyens que s’était fixé Ville d’Avray à horizon un an. « Plus de 40% sont des actifs, c’est notre plus grande satisfaction », précise Luc de Noirmont.
Au-delà des « bonnes pratiques », nous nous sommes interrogés sur le terme même de “démocratie participative”. Pourquoi cette expression apparaît-elle galvaudée, suscite-t-elle souvent un scepticisme poli ? Peut-être parce qu’elle véhicule de la confusion avec la démocratie directe. La démocratie participative, cela évoque pour certains un joyeux bazar où tout le monde s’exprime sur tout, participe à parts égales à toutes les décisions. Pour d’autres, c’est un gadget : on fait mine de prendre l’avis des citoyens alors que les décisions sont déjà prises.
Pour notre part, nous préférons l’expression plus humble de « conversations citoyennes ». On ne prétend pas renverser la table et révolutionner l’exercice du pouvoir. Au cœur des conversations citoyennes, il y a « simplement » l’ambition de créer les conditions d’un authentique dialogue. Les citoyens sont sollicités de manière sincère, sur des sujets sur lesquels leur contribution peut faire la différence, et avec toutes les cartes en mains. Ces conversations améliorent la qualité des diagnostics, rendent les choix plus robustes, ouvrent parfois sur des alternatives inattendues, et rapprochent véritablement citoyens et élus.
Interview de la Maire de Ville d’Avray et du Maire Adjoint chargé de la Démocratie Participative :
Présentation de la plateforme citoyenne :