Par Thibault Vignes
Mobiliser 400 collaborateurs plutôt dubitatifs sur une ambition très élevée à 5 ans, voilà le challenge ! L’engagement, c’est un peu le Graal de notre époque : les dirigeants rêvent de collaborateurs pleinement engagés, qui comprennent les objectifs de l’entreprise, y adhèrent, et mobilisent tout leur talent pour y contribuer à leur niveau. Alors, comment un événement de 2 jours avec 400 personnes pourrait créer cet engagement ? Faut-il un grand show de motivation à l’américaine ? Un challenge commercial avec des primes alléchantes ? Un orateur inspirant qui invite chacun à se dépasser ? Un gigantesque “team building” ? Préparez vous à des choses moins alléchantes, car les 3 clés identifiées dans cette belle aventure sont d’un tout autre registre.
L’histoire commence par cette demande simple que le CEO de PLG, Paul Alban Riché, nous adresse en janvier 2023 : “Nous voulons passer de 300 à 500 millions d’euros de chiffre d’affaires en 5 ans. Tout y est favorable, sauf l’état d’esprit de nos forces commerciales, qui est positif mais insuffisamment conquérant. Nous avons donc décidé de les réunir tous (400 personnes) pendant deux jours en séminaire en octobre, avec un seul objectif : qu’ils sentent que nous avons les moyens de réussir, et que chacun se mobilise à 100%”.
PLG est une filiale du groupe BUNZL qui opère dans le domaine de l’hygiène professionnelle, avec pour raison d’être : “Être votre partenaire de solutions d’hygiène professionnelle pour vous permettre de vous concentrer sur votre cœur de métier”
Le témoignage du CEO, un an après, nous donne les 3 « clés de débugage » qu’il retire de cette expérience : embarquer « échelon par échelon », transmettre la « big picture », et, surtout, responsabiliser.
Pour comprendre ces clés, il faut comprendre ce qu’on entend par “débugage ».
Une croyance limitante à débugger
Notre job est d’aider le dirigeant à réussir la mobilisation collective à laquelle il aspire, nous devons donc comprendre le problème qu’il cherche à résoudre, tel qu’il le perçoit, afin de mettre notre expertise au service de sa résolution.
Lors de notre première réunion de travail, il nous dit : “au fond l’état d’esprit n’y est pas, c’est ce qui nous limite. Il faut que vous nous aidiez à “débuguer” cette croyance limitante”.
En approfondissant cette affirmation, nous comprenons très vite que le problème se situe à tous les niveaux de la chaîne hiérarchique commerciale, y compris au sein du Comité de Direction. Alors même que toutes les transformations (organisation, IT, supply chain) sont opérées, et que le marché est favorable, l’entreprise ne se sent pas capable de faire mieux que les 300 millions d’euros de chiffre d’affaires actuels. Le CA butte inexorablement sur ce plafond de verre.
Donc notre mission, cette fois-ci, sera de créer les conditions pour que se forge chez chacun un engagement fort, et qu’il se dise : “yes we can ! Yes I will !”.
Nous proposons alors un dispositif original au service de cet objectif : les « poupées russes » à l’envers.
Embarquer échelon par échelon : les “poupées russes à l’envers”
L’objectif de ce dispositif est de sécuriser l’engagement de la ligne managériale, en “débugant” pas à pas chaque étage de la hiérarchie, à commencer par l’équipe dirigeante.
Dans la hiérarchie commerciale de PLG, il y a 4 “poupées russes”, chacune contenant les précédentes : les 9 (le codir), les 25 (+ les N-1), les 70 (+ les managers de terrain), les 350 (+ tous les commerciaux).
Nous n’aurons donc non pas 1 séminaire, mais 4 pour construire la mobilisation attendue.
Nous commençons par le séminaire du codir, pour sécuriser un haut niveau de conviction, en posant tout sur la table, y compris les aspects les plus délicats.
Puis nous incluons chaque échelon de la hiérarchie lors d’un nouveau séminaire, en donnant à chaque fois une responsabilité concrète aux participants des étages précédemment inclus.
Au fond, ce dispositif est fondé sur une observation de bon sens : “si je vois mes managers mobilisés ensemble, et que je les entends m’expliquer ensemble que c’est possible, avec leurs mots, alors oui, je peux y croire”. Car la conviction, cela ne se transmet pas dans les slides, mais par les hommes.
Paul Alban Riché résume les bénéfices de ce dispositif en 4 temps : « La force de cette approche c’est qu’au lieu d’être seul à porter l’ambition, nous avons démultiplié à foison avec des ambassadeurs. Lors du dernier séminaire, au lieu d’être le seul ambassadeur, nous étions 70 ».
Mais, sur le fond, comment faire pour construire de vrais ambassadeurs, convaincus et convaincants, débarrassés de leur croyance limitante ? Quel a été le contenu de ces séminaires ? C’est ici qu’intervient la deuxième clé : transmettre la « big picture »
Transmettre la big picture
Paul Alban nous dit : « C’était le bon moment pour reconstruire le puzzle afin que chacun puisse comprendre d’où on vient et où on va. Dans une entreprise, c’est très difficile de communiquer sur l’image globale : il faut remettre du sens dans tout ce qui a été le labeur. Cela redonne de la confiance, et permet de passer du scepticisme à l’envie, puis à l’engagement ».
Il nous explique la façon dont s’est construit l’engagement individuel : « chez les participants, j’ai l’impression que cela s’est passé en 3 temps : je commence à comprendre, puis ça me fait envie, et enfin je décide d’y aller ».
Passer du scepticisme à l’envie puis à l’engagement, cela a nécessité d’abord de revisiter l’histoire de l’entreprise pour comprendre ce qui s’était passé : “Pour aller de l’avant, il faut bien connaître son passé. Personne n’avait vraiment communiqué sur notre histoire, pourtant très dense, avec ses hauts et ses bas. En retravaillant le passé, nous avons pu le digérer, comprendre ce qui nous a limité jusqu’à présent, et construire le ciment culturel qui fait que notre maison est bien solide. Faire ce travail nous a permis de couper les boulets du passé pour nous tourner vers l’avenir”.
Si l’histoire était la pièce la plus importante du puzzle, l’articulation et la cohérence des projets de transformation était également essentielle : “Nous enquillons les projets de transformation à un rythme soutenu depuis des années, il fallait prendre le temps de rassembler tout cela, d’expliquer la façon dont ces projets s’assemblent et nous autorisent une ambition business aussi élevée. Il fallait aussi assumer notre part de responsabilité face aux irritants remontés du terrain”.
Donner la “big picture”, c’est faire honneur à l’intelligence de chacun pour lui permettre de comprendre ce qui se passe. Les 4 séminaires ont donné une large place à ce travail de pédagogie, d’échange, et de confrontation pour que chacun fasse son chemin d’adhésion, en ayant la possibilité de poser toutes ses questions.
Et comme le projet de l’entreprise est ambitieux et réaliste, la compréhension a naturellement généré l’envie. Il restait alors à passer de l’envie à l’engagement, ce qui nous amène à la troisième clé : responsabiliser
Responsabiliser
“Nous avons vraiment réussi à mettre les managers en responsabilité grâce au système des poupées russes, puisque chacun avait un rôle à jouer dans le séminaire d’après” raconte Paul Alban.
Voici deux illustrations permettant de comprendre cette logique de responsabilisation :
- Lors du premier séminaire, avec le Comité de Direction, nous avons co-construit une “fresque des faits marquants” sur l’histoire de l’entreprise, retraçant de façon visuelle ses faits marquants, victoires et difficultés. Comme cet exercice s’est avéré essentiel pour comprendre la « big picture », les membres du Comité de Direction ont présenté leur fresque à chacun des séminaires suivants.
- Lors du dernier séminaire – le 4ème – avec l’ensemble des forces commerciales (400 personnes), nous avons organisé un « forum » permettant aux participants de découvrir 35 réalités concrètes de l’entreprise qui donnent confiance dans sa capacité à atteindre son ambition. Ce forum a été animé en binôme par les 70 managers qui s’y étaient préparés lors du 3ème séminaire. Les 35 sujets du forum avaient été identifiés lors du 2ème séminaire. Ce moment a été vécu comme le temps fort du séminaire, allant jusqu’à « convertir » les plus dubitatifs.
La responsabilisation avec le système des « poupées russes à l’envers » est une clé puissante pour mobiliser un grand nombre de collaborateurs. Cela permet d’impliquer la ligne managériale, en lui donnant un « coup d’avance » sur le sujet pour bien le maîtriser, et en sollicitant chacun pour tenir un rôle concret le jour J, en s’appuyant sur son savoir-faire et ses connaissances.
Dans les faits, ce dispositif produit une double mobilisation, en amont et le jour J. En amont, la ligne managériale se mobilise pour réussir collectivement l’évènement. Le jour J, les participants se mobilisent lorsqu’ils voient leurs managers engagés et rassemblés (ce qui est au moins aussi important que de comprendre le fond !)
Alors, au final, mobilisation réussie ?
Laissons le mot de la fin à Paul Alban Riché : « Cette série de séminaires très réussis constitue un ancrage fort, et un excellent point de départ qui a agit comme un “starter”. Il n’est évidemment pas suffisant pour obtenir une mobilisation durable. Pour entretenir la dynamique au quotidien, nous allons continuer la responsabilisation de nos managers avec le « club 70 », en leur donnant une démarche pour booster leurs équipes sur des leviers de performance, et en les réunissant régulièrement pour qu’ils partagent leurs pratiques. Au fond, nous allons renforcer nos rituels de management pour créer entre nos managers un réseau d’entraide solide qui partage ses bonnes pratiques, ses doutes, ses solutions”.
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